Le principe de subsidiarité
(d'après une étude d'Olivier DRAPE)
Préambule : Les corps intermédiaires
Il existe un ordre naturel des choses voulu par le Créateur, un ordre social conforme à la nature humaine, que la doctrine sociale de l'Eglise est à peu près seule à défendre aujourd'hui, ordre selon lequel la société est faite d'une grande variété de corps sociaux situés entre les individus et l'Etat : les "corps intermédiaires".
Ainsi, l'Eglise
qui "laisse libre le choix de gouvernement, chose importante cependant
pour la conduite des hommes (...), n'a jamais cessé de présenter l'organisation
en corps intermédiaires comme un élément essentiel de sa doctrine
sociale". La famille, le village,
la ville ou la province, l'école, l'entreprise, les corps professionnels ou le
syndicat sont autant de "corps intermédiaires" qui, malgré leurs
différences, ont pour caractéristiques communes d'être à la mesure de l'homme,
de favoriser le développement de ses capacités et l'exercice de ses
responsabilités.
Les corps
intermédiaires ont été combattus par la Révolution qui s'est efforcée de les
détruire, d'où la suppression des corporations par
C'est parce qu'il
permet de résoudre le problème des relations entre les personnes, les corps
intermédiaires et l'Etat, que le principe de subsidiarité, principe de base de
la doctrine sociale de l'Eglise, doit être connu, respecté et appliqué par
ceux-là mêmes qui entendent contribuer à refaire une société humaine et
chrétienne.
DEFINITION
Il n'existe pas de
formulation plus claire et plus complète du principe de subsidiarité, que celle
qu'en donne le Pape Pie XI dans l'encyclique "Quadragesimo Anno"
(1931) (dont le Pape Jean XXIII reprend lui-même l'essentiel dans l'encyclique "Mater
et Magistra" (1961)):
"Parlant
de la réforme des institutions, c'est tout naturellement l'Etat qui vient à
l'esprit. Non certes qu'il faille fonder sur son intervention tout espoir de
salut. Mais, depuis que l'individualisme a réussi à briser, à étouffer
presque cet intense mouvement de vie sociale qui s'épanouissait jadis en une
riche et harmonieuse floraison de groupements les plus divers, il ne reste plus
guère en présence que les individus et l'Etat. Cette déformation du régime
social ne laisse pas de nuire sérieusement à l'Etat, sur qui retombent, dès
lors, toutes les fonctions que n'exercent plus les groupements disparus, et qui
se voit accablé sous une quantité à peu près infinie de charges et de
responsabilités.
Remarquons le raisonnement de Pie XI, le premier
coupable de la situation ce n'est pas l'Etat, c'est l'individualisme. Dire cela
c'est déjà donner une piste pour la résolution du problème actuel.
Il
est vrai sans doute, et l'histoire en fournit d'abondants témoignages, que, par
suite de l'évolution des conditions sociales, bien des choses que l'on
demandait jadis à des associations de moindre envergure ne peuvent plus
désormais être accomplies que par de puissantes collectivités. Il n'en reste
pas moins indiscutable que l'on ne saurait ni changer ni ébranler ce principe
si grave de philosophie sociale : de même qu'on ne peut enlever aux
particuliers pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils
sont capables de s'acquitter de leur seule initiative et par leurs propres
moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler
d'une manière très dommageable l'ordre social, que de retirer aux groupements
d'ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d'un rang
plus élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir eux-mêmes.
L'objet naturel
de toute intervention en matière sociale est d'aider les membres du corps
social et non pas de les détruire ni de les absorber.
Que
l'autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin
des affaires de moindre importance où se disperserait à l'excès son effort;
elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus
efficacement les fonctions qui n'appartiennent qu'à elle, parce qu'elle seule
peut les remplir; diriger, surveiller, stimuler, contenir selon que le
comportent les circonstances ou l'exige
Un mot sur le CEC
N°1883: on y lit "La socialisation présente aussi des dangers. Une
intervention trop poussée de l'Etat peu menacer la liberté et l'initiative
personnelles. La doctrine de l'Eglise a élaboré le principe dit de subsidiarité."
Je me permets de ne pas être d'accord avec cette affirmation :
Le principe de
subsidiarité n'est pas un concept arbitraire, abstrait ou purement théorique,
"inventé" par la doctrine sociale de l'Eglise, mais un principe de
vie sociale si nécessaire et vital qu'on ne peut prétendre changer ni ébranler,
soutient Pie XI, sans "troubler d'une manière très dommageable l'ordre social".
Il constitue véritablement la clef de voûte de l'organisation sociale dans son
ensemble.
"Je
crois qu'il existe une règle toute simple pour délimiter les fonctions de
l'Etat, très simple parce qu'elle est empirique et ne vise pas à la haute
théorie. Les fonctions de l'Etat sont celles qui ne peuvent être remplies que
par lui, parce qu'il manque aux particuliers ou aux associations , ou la
volonté ou le pouvoir de les remplir. Voilà, je crois, une délimitation claire
et simple des fonctions de l'Etat" (Jules Ferry, Chambre des députés
12 juin 1875)
Le principe de
subsidiarité est, avant toute chose, un principe de bon sens. C'est si vrai
qu'il n'est pas une mère de famille au monde qui ne l'applique en permanence
dans l'éducation de ses enfants, au fur et à mesure qu'elle cesse de faire pour
eux ce qu'ils deviennent capables de faire par eux-mêmes...
CONTENU
Le principe de subsidiarité se ramène aux
trois propositions complémentaires suivantes : "les personnes et les sociétés
occupant un rang hiérarchique supérieur doivent :
1.
respecter les
attributions de chacun,
2.
aider (éventuellement),
3.
remplacer (exceptionnellement) (4).
1 - Respecter les attributions de
chacun :
"Selon le
principe de subsidiarité, ni l'Etat ni aucune société plus vaste ne doivent se
substituer à l'initiative et à la responsabilité des personnes et des corps
intermédiaires" (CEC N°1894) Rien ne doit être fait par un groupement qui
puisse l'être par un simple particulier; ni par une communauté trop importante
qui puisse l'être à un niveau plus modeste; enfin, rien ne doit être entrepris
par l'Etat qui puisse être le fait d'une simple collectivité.
2 - Aider (éventuellement) :
S'inspirant du
texte précité de Pie XI dans "Quadragesimo Anno", Pie XII souligne
que "toute l'activité sociale est de sa nature subsidiaire, elle doit
servir de soutien aux membres du corps social et ne jamais les détruire ni les
absorber". Et Jean-Paul II précise : "une société d'ordre supérieur
ne doit pas intervenir dans la vie interne d'une société d'ordre inférieur, en
lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de
nécessité et l'aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui
composent la société, en vue du bien commun" (Centesimus annus).
3 -
Remplacer (exceptionnellement) :
Il n'appartient
pas à l'Etat de se substituer à l'initiative privée. Lorsque celle-ci fait
manifestement défaut, il doit avant tout s'efforcer de la susciter.
Ce n'est qu'en cas
de défaillance ou de grave insuffisance des particuliers ou de leurs
groupements, qu'une communauté de rang supérieur, ou que l'Etat lui-même, peut
chercher à les remplacer, à condition qu'une telle initiative demeure exceptionnelle
et limitée dans le temps.
Conclusion partielle.
Ainsi donc, la
subsidiarité apparaît comme un "principe selon lequel toute l'ordonnance
sociale s'édifie de bas en haut, de sorte que l'Etat n'intervient que comme
dernière instance".
FONDEMENT
"Dieu n'a
pas voulu retenir pour Lui seul l'exercice de tous les pouvoirs. Il remet à
chaque créature les fonctions qu'elle est capable d'exercer, selon les
capacités de sa nature propre, précise le "Catéchisme de l'Eglise
Catholique". Ce mode de gouvernement doit être imité dans la vie sociale.
Le comportement de Dieu dans le gouvernement du monde, qui témoigne de si
grands égards pour la liberté humaine, devrait inspirer la sagesse de ceux qui
gouvernent les communautés humaines. Ils ont à se comporter en ministres de la
providence divine" (CEC N° 1884).
Le principe de
subsidiarité s'oppose à toute forme de collectivisme. Il trace les limites de
l'intervention de l'Etat. Il vise à harmoniser les rapports entre les individus
et les sociétés. (CEC N° 1885).
Certes, l'Etat ne
doit faire que ce qui ne peut être fait que par lui, mais cette mission
comporte un double aspect :
- un aspect
négatif : la fonction de suppléance qu'il exerce en cas de carence ou
d'incapacité des particuliers ou des corps intermédiaires à subvenir à certains
besoins fondamentaux,
- un aspect
positif qui concerne ses prérogatives essentielles, les fonctions régaliennes
qui ne peuvent relever que de lui (police, justice, armée, diplomatie ou
finances générales...), mais aussi la nécessité d'harmoniser, de coordonner ou
d'arbitrer, en vue du bien commun, les multiples manifestations de l'activité
privée des personnes ou des groupes.
Par analogie, la
mission de l'Etat s'apparente à celle de l'agent qui, dans les grandes villes,
réglait la circulation :
"Le rôle de
l'agent trouve sa raison d'être dans le bon ordre de
APPLICATIONS
L'enseignement
social de l'Eglise se ramène à quelques grands principes qu'il appartient
aux laïcs de mettre en pratique en fonction des circonstances de temps
et de lieux. C'est ainsi que le principe de subsidiarité, dont la valeur est
universelle et permanente, "vaut pour la vie sociale à tous les
degrés" Ses applications sont pratiquement illimitées. Nous nous bornerons
ici à en mentionner quelques-unes parmi les plus importantes.
1 - L'éducation
La doctrine
sociale de l'Eglise a toujours particulièrement insisté sur ce point : les
parents sont les premiers responsables de l'éducation de leurs enfants; il
s'agit là d'un droit naturel "antérieur à n'importe quel droit de la
société civile et de l'Etat, donc inviolable par quelque puissance que ce
soit" (13).
Ni l'Etat, ni la société civile ne sauraient
donc se substituer aux familles dans l'éducation des enfants.
"Le
droit et le devoir d'éducation sont pour les parents quelque chose d'essentiel,
de par leur lien avec la transmission de la vie (...), quelque chose
d'irremplaçable qui ne peut être totalement délégué à d'autres ni usurpé par
d'autres.
Il en résulte que l'école ne
peut assurer sa mission éducatrice qu'en respectant les convictions philosophiques,
morales et religieuses des parents; "l'Eglise rappelle ainsi la loi de
subsidiarité que l'école est tenue d'observer lorsqu'elle coopère à l'éducation
sexuelle en se plaçant dans l'esprit des parents La société, et plus
précisément l'Etat (...) ont donc la grave obligation, en ce qui concerne leurs
relations avec la famille, de s'en tenir au principe de subsidiarité. "
(Familiaris consortio).
S'il revient à
l'Etat, garant du bien commun, de veiller à ce que tous ses ressortissants
reçoivent un minimum d'instruction, de contrôler la qualité de l'enseignement
dispensé et de faire en sorte que l'ordre public soit respecté dans tous les
établissements scolaires, sa mission première n'est pas d'ouvrir des écoles
mais de permettre aux parents de le faire eux-mêmes par une juste répartition
des deniers publics (sous forme, par exemple, du "bon scolaire" ou
"chèque-éducation") et, le cas échéant, de les y aider ou de les y
inciter (15).
2 - L'entreprise.
Avant même
d'aborder ce qui se passe – ou devrait se passer – à l'intérieur des
entreprises rappelons une évidence : l'état doit laisser aux entreprises ce qui
leur appartient et ne conserver que les missions régaliennes. Transports,
santé, éducation, exploitation et distribution de l'énergie, recherche scientifique
etc… autant de domaines dans lesquels le monopole d'état n'a pas lieu d'être.
Le principe de subsidiarité s'applique, bien
entendu, aux rapports humains ainsi qu'à l'organisation de la production dans
l'entreprise. Il consiste à donner à chacun les pouvoirs correspondant à son
domaine de responsabilité.
"Dans le
domaine de l'entreprise, l'idée de subsidiarité joue, depuis ces dernières
années, en Europe et en Occident en général, un rôle croissant", Dans les
années 50, "un précurseur tout à fait inconnu, Hyacinthe Dubreuil, avait
déjà réclamé une réorganisation des entreprises dans cet esprit"; ses
ouvrages "parlaient de la dignité de l'ouvrier, du manque de considération
qu'on lui portait, et s'indignaient qu'on put priver des êtres humains de la moindre
initiative et de la moindre responsabilité (...). Dubreuil imagina une
organisation nouvelle à l'intérieur de laquelle chaque individu pourrait
déployer au maximum son aptitude à
Voir aussi aux USA
Douglas Mac Grégor théorie X et theorie Y.
La théorie X |
La théorie Y |
"Principe des échelons" |
"Principe d’intégration" |
· "Diriger et contrôler par l’exercice de l’autorité." |
· "La création de conditions telles que les membres de l’organisation puissent atteindre leurs propres buts avec le plus de succès en dirigeants leurs efforts vers la réussite de l’entreprise." |
Ne pas confondre
les groupes autonomes avec l'autogestion chère à la CFDT post soixante
huitarde.
3 - L'assistance sociale
Si le principe de
subsidiarité ne s'oppose pas à ce que l'Etat puisse intervenir pour définir le
niveau de protection sociale minimum auquel tous les citoyens ont droit, il ne
peut aucunement s?accommoder du quasi monopole de
Une sécurité sociale qui ne serait qu'un
monopole d'Etat porterait préjudice aux familles et aux professions en faveur
et par le moyen desquelles elle doit avant tout s'exercer" (Mgr Montini
1952).
4 - La décentralisation
Elle est un cas typique de mise en oeuvre du
principe de subsidiarité.
La
décentralisation ne consiste pas, de la part de l'Etat, à concéder aux
collectivités locales les pouvoirs qu'il veut bien leur laisser, mais à
reconnaître le droit naturel qui est le leur de gérer elles-mêmes leurs propres
affaires.
Ainsi, la
répartition des compétences entre les régions, les départements et les communes
ne doit pas être décidée d'en haut; elle ne doit pas être arbitrairement fixée
par l'Etat. Il convient plutôt de partir des collectivités locales afin de
déterminer les compétences qu'elles pourraient elles-mêmes assumer et les
ressources fiscales qui, pour cela, leur seraient nécessaires.
5 - Les relations internationales
Le principe de subsidiarité qui s'applique,
dans l'ordre interne, aux relations des corps intermédiaires entre eux ou avec
l'Etat, s'impose également dans le domaine des relations internationales.
Dans ces
conditions, la "construction européenne" devrait elle-même reposer
sur le respect le plus scrupuleux du principe de subsidiarité.
Or, selon
l'article 3 B du Traité de Maastricht, "dans les domaines qui ne relèvent
pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au
principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action
envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les Etats membres
et peuvent donc, en raison des dimensions et des effets de l'action envisagée,
être mieux réalisés au niveau communautaire".
En vérité, cet
énoncé du principe de subsidiarité en pervertit gravement le sens et la portée.
D'une part, il
substitue au principe de subsidiarité, tel que l'expose authentiquement la
doctrine sociale de l'Eglise (ne pas retirer aux particuliers ni aux
groupements d'ordre inférieur les fonctions qu'ils sont capables de remplir par
eux-mêmes), un principe d'efficacité selon lequel la Communauté européenne
s'arroge le droit d'intervenir dans tous les domaines où elle estime pouvoir
mieux faire que les Etats membres, centralisant toutes les compétences qu'elle
juge plus efficace d'exercer au niveau européen.
D'autre part,
l'esprit comme la mise en oeuvre du Traité comportent le risque d'une véritable
inversion du principe de subsidiarité. Alors que ce principe "signifie que
chaque corps intermédiaire - famille, école, entreprise, commune - demeure
maître de ses décisions dans tous les domaines où il peut en assumer la
responsabilité, le ministre Roland Dumas expliquait ce principe en soutenant
que "la CEE présidée par Jacques Delors délègue aux Etats membres".
La subsidiarité devient non plus soutien apporté par l'autorité supérieure en
cas d'impuissance de l'autorité inférieure, mais délégation souveraine
arbitrairement consentie par l'Etat supranational.
La délégation de pouvoir par la volonté concessive du supérieur, c'est
exactement la subsidiarité à l'envers"
CONCLUSION : QUE FAIRE ? :
Notre travail doit
tendre, non seulement à redresser l'Etat en le libérant de l'emprise
idéologique des "lobbies" qui le détournent de sa mission véritable,
mais à renouveler en profondeur l'ensemble du corps social par et dans ses
corps intermédiaires.
Il s'agit de
conforter les "élites" en place, les "responsables", les
"chefs" (à quelque niveau que ce soit) dans l'assurance de leur
légitimité; de les éclairer ou de leur apporter la formation dont ils ont
généralement besoin.
Il s'agit surtout
de contribuer personnellement à revitaliser de l'intérieur la famille, l'école
ou l'université, l'entreprise ou les syndicats...
Conformément au principe de
subsidiarité, c'est en effet dans son milieu naturel, en fonction de ses
compétences et dans sa sphère d'influence que chacun est d'abord appelé à
mettre en pratique la doctrine sociale de l'Eglise, dont Pie XII disait
qu'"elle est claire en tous ses aspects", qu'"elle est
obligatoire" et que "nul ne peut s'en écarter sans danger pour la foi
et l'ordre moral".