L'Espérance
Sources : Spe Salvi, Sineux, CEC.
Préambule
Le rôle de la Morale est de
dicter à l'homme à chaque instant le "savoir-vivre ", ou la manière
de penser et d'agir en conformité avec les principes supérieurs du Vrai et du
Bien, en fonction de sa véritable fin.
Dans ce but, l'âme humaine
est dotée de "Vertus", ou habitudes l'inclinant au Bien. Elles se
ramènent à sept principales, autour desquelles se groupent, en nombre
variable, des vertus annexes.
Trois sont appelées «
théologales », c'est-à-dire, « concernant Dieu », tant en raison de leur
origine que surtout de leur objet. Octroyées à l'âme directement par la Grâce
de Dieu, indépendamment et au-dessus des dispositions naturelles, elles ont
aussi pour but de mettre l'âme immédiatement et sans intermédiaire, en contact
avec Dieu, sa fin dernière. Ce sont la Foi, l'Espérance et la Charité.
Les quatre autres sont
dites « cardinales », expression qui désigne leur importance et leur fonction. Ce
sont la Prudence. la Justice, la Force et la Tempérance.
Qu'est-ce que l'Espérance ?
L'Espérance, n'est-ce pas
l'accent qui domine toute la Révélation dans l'Ancien Testament, depuis
l'annonce du Sauveur aux premiers pécheurs exilés du Paradis, en passant par la
Promesse maintes fois réitérée à Abraham le Père des Croyants que sa magnifique
confiance rend juste aux yeux de Dieu, et aux Patriarches ses descendants,
jusqu'aux Psaumes qui brodent inlassablement sur ce thème : « Le Seigneur est
ma lumière et mon salut; que pourrais-je redouter?
Le Nouveau Testament, la
vie et la mort du Sauveur étant la preuve concrète et palpable que Dieu est
fidèle à ses promesses, l'Espérance en est affermie encore. Et les
perspectives nouvelles que le Christ laisse entrevoir, tant pour le
secours divin à attendre dans la vie présente, que pour les rétributions
de la vie future, font l'objet de l'Espérance proprement chrétienne, laquelle
devient alors la seule explication plausible du Christianisme dans son
ensemble; mutilés de cette Espérance en effet, prescriptions et austérités de
l'Evangile seraient décevantes et dépourvues de sens.
Objet de
l'Espérance Chrétienne.
Bien qu'elle se déploie au
service d'une créature, la Vertu divine garde son caractère infini.: et le
résultat. doit être proportionné à la Puissance agissante. C'est bien en effet
vers un objet infini que l'Espérance porte l'âme chrétienne : à savoir, la
conquête de la Vie éternelle. C'est dire que l'homme ne rêve de rien moins que
de posséder Dieu qui, seul, peut lui communiquer Vie et Béatitude sans fin.
Qu'est-ce
que la vie éternelle (Spe
Salvi)
Dans la recherche d'une réponse, je (c'est Benoit XVI qui parle) voudrais partir de la forme classique du dialogue par lequel le rite du
Baptême exprimait l'accueil du nouveau-né dans la communauté des croyants et sa
renaissance dans le Christ. Le prêtre demandait d'abord quel nom les parents
avaient choisi pour l'enfant, et il poursuivait ensuite par la question: « Que
demandez-vous à l'Église? » Réponse: « La foi ». « Et que donne la foi? » « La vie
éternelle ». Dans le dialogue, les parents cherchaient pour leur enfant l'accès
à la foi, la communion avec les croyants, parce qu'ils voyaient dans la foi la
clé de « la vie éternelle ». En fait, aujourd'hui comme hier, c'est de cela
dont il s'agit dans le Baptême, quand on devient chrétien: non seulement d'un
acte de socialisation dans la communauté, non pas simplement d'un accueil dans l'Église.
Les parents attendent plus pour le baptisé: ils attendent que la foi, dont fait
partie la corporéité de l'Église et de ses sacrements, lui donne la vie - la
vie éternelle. La foi est la substance de l'espérance.
Mais alors se fait jour la question suivante: voulons-nous
vraiment cela - vivre éternellement? Peut-être aujourd'hui de nombreuses
personnes refusent-elles la foi simplement parce que la vie éternelle ne leur
semble pas quelque chose de désirable. Elles ne veulent nullement la vie
éternelle, mais la vie présente, et la foi en la vie éternelle semble, dans ce
but, plutôt un obstacle. Continuer à vivre éternellement - sans fin - apparaît
plus comme une condamnation que comme un don.
Certainement on voudrait renvoyer la mort le plus loin
possible. Mais vivre toujours, sans fin – en définitive, cela peut être
seulement ennuyeux et en fin de compte insupportable. C'est précisément cela que
dit par exemple saint Ambroise, Père de l'Église, dans le discours funèbre pour
son frère Saturus: « La mort n'était pas naturelle, mais elle l'est devenue;
car, au commencement, Dieu n'a pas créé la mort; il nous l'a donnée comme un
remède [...] à cause de la transgression; la vie des hommes commença à être
misérable dans le travail quotidien et dans des pleurs insupportables. Il
fallait mettre un terme à son malheur, afin que sa mort lui rende ce que sa vie
avait perdu. L'immortalité serait un fardeau plutôt qu'un profit, sans le
souffle de la grâce » .Auparavant déjà, Ambroise avait dit: «La mort ne doit
pas être pleurée, puisqu'elle est cause de salut».
Quel que soit ce que saint Ambroise entendait dire
précisément par ces paroles - il est vrai que l'élimination de la mort ou même
son renvoi presque illimité mettrait la terre et l'humanité dans une condition
impossible et ne serait même pas un bénéfice pour l'individu lui-même. Il y a
clairement une contradiction dans notre attitude, qui renvoie à une
contradiction intérieure de notre existence elle- même. D'une part, nous ne
voulons pas mourir; surtout celui qui nous aime ne veut pas que nous mourions.
D'autre part, nous ne désirons même pas cependant continuer à exister de manière
illimitée et même la terre n'a pas été créée dans cette perspective. Alors, que
voulons-nous vraiment? Ce paradoxe de notre propre attitude suscite une
question plus profonde: qu'est-ce en réalité que la « vie» ? Et que signifie
véritablement « éternité» ?
Y a des moments où nous le percevons tout à coup: oui,
ce serait précisément cela - la vraie «vie» - ainsi devrait-elle être. Par
comparaison, ce que, dans la vie quotidienne, nous appelons «vie », en vérité
ne l'est pas. Dans sa longue lettre sur la prière adressée à Proba, une veuve
romaine aisée et mère de trois consuls, Augustin écrivit un jour: dans le fond,
nous voulons une seule chose - « la vie bienheureuse », la vie qui est
simplement vie, simplement« bonheur ». En fin de compte, nous ne demandons rien
d'autre dans
Je pense qu'Augustin décrivait là de manière très
précise et toujours valable la situation essentielle de l'homme, la situation
d'où proviennent toutes ses contradictions et toutes ses espérances. Nous
désirons en quelque sorte la vie elle-même, la vraie vie, qui n'est même pas
touchée par la mort; mais, en même temps, nous ne connaissons pas ce vers quoi
nous nous sentons poussés. Nous ne pouvons pas nous arrêter de nous diriger
vers cela et cependant nous savons que tout ce dont nous pouvons faire
l'expérience ou que nous pouvons réaliser n'est pas ce à quoi nous aspirons.
Cette « chose» inconnue est la véritable « espérance », qui nous pousse et le
fait qu'elle soit ignorée est, en même temps, la cause de toutes les
désespérances comme aussi de tous les élans positifs ou destructeurs vers le
monde authentique et vers l'homme authentique. L'expression « vie éternelle »
cherche à donner un nom à cette réalité connue inconnue.
Il s'agit nécessairement d'une expression
insuffisante, qui crée
C'est ainsi que Jésus l'exprime dans Jean: « Je vous reverrai, et votre cœur se réjouira; et votre
joie, personne ne vous l'enlèvera»
(16,22). Nous devons penser dans ce sens si nous voulons comprendre ce vers
quoi tend l'espérance chrétienne, ce que nous attendons par la foi, par notre
être avec le Christ.
Benoit XVI développe aussi trois
notions qui n'apparaissent pas explicitement dans "le Sineux" et que
je me contenterai de résumer:
Les liens entre la Foi et l'Espérance.
Ces liens apparaissent
clairement dans la dernière formule du Credo : Je crois à la vie éternelle. Au
Ciel seule subsistera la Charité, qui est la pus grande des vertus.
L'Espérance chrétienne n'est pas individualiste cf
Psaumes 66,
2.Que Dieu
ait pitié de nous et qu'il nous bénisse! Qu'il fasse briller sur nous son
visage, et qu'il ait pitié de nous,
3. Afin que vos
voies soient connues par toute la terre, et que toutes les nations aient part à
votre salut!
4. Que les
peuples vous louent, ô Dieu; que les peuples vous louent tous!
5. Que les
nations soient dans la joie et l'allégresse! Car vous jugez les peuples avec
équité, et vous dirigez tous les habitants de la terre.
6. Que les
peuples vous louent, ô Dieu, que les peuples vous louent tous! 7. La terre a·
donné son fruit;
Que Dieu,
notre Dieu, nous bénisse!
8. Que Dieu
nous bénisse, et que toutes les extrémités de la terre le révèrent!
Psaume 149:
(…) 5. Les saints triomphent dans la gloire; ils
tressaillent de joie sur leur couche.
6. Les
louanges de Dieu sont dans leur bouche, et un glaive à deux
tranchants est dans leurs mains,
7. Pour
exercer la vengeance sur les nations et châtier les peuples,
Psaume 42 :
Rendez-moi
justice, ô Dieu; séparez ma cause de celle d'une nation infidèle; (…)
Contrairement au progrès matériel, l'Espérance ne peut
pas s'additionner.
Dans
le domaine scientifique, nous bénéficions des progrès accomplis par les
générations précédentes, dans le domaine spirituel, rien n'est jamais
définitivement acquis, ce serait contraire à la Liberté dont nous disposons
jusqu'à nos derniers instants.
Le don de crainte
Parfois, un secours, un Don
du Saint-Esprit, vient soutenir la Vertu et parfaire son œuvre.
Pour la vertu de Foi, on
aura l'intelligence et
Espérance et Crainte, ces deux termes sembleraient
s'exclure?
Ils s'accordent et se complètent cependant : "Vous qui craignez le Seigneur, espérez ses bienfaits : la joie éternelle
et la miséricorde" (Eccl 2, 9)
Il Ya crainte et crainte.
La crainte de voir le mal
s'abattre n'est pas la crainte de voir finir le bien; la crainte de paraître
devant un juge n'est pas la crainte de perdre un père. Il y a la crainte
servile des Hébreux tremblant devant Jahvé, et la crainte
filiale des saints redoutant de contrister leur Père Céleste.
Si, par le Don de Crainte,
l'Esprit-Saint intervient spécialement dans notre Espérance, ce n'est
évidemment pas pour en refréner les élans, mais plutôt pour les diriger et les
stimuler. Il donne une notion plus claire de la Puissance divine, cette puissance
qui serait effrayante pour l'âme infidèle, mais qui apparaît surtout secourable
pour l'âme de bonne volonté, et qu'il est aisément possible de se rendre
favorable par la droiture et
Bref, ce n'est pas,
directement du moins, la crainte d'être puni par Dieu; mais plutôt la crainte
d'être séparé de Lui, la crainte de l'offenser, de ne pas faire tout ce qu'Il
demande; une crainte toute inspirée par l'amour, et non par la peur d'un être
menaçant.
Il subsiste bien encore une
crainte du Dieu terrible telle que la connut le premier homme après sa chute,
et qu'il a léguée à sa postérité avec le péché même. Cette crainte du reste ne
laisse pas d'être salutaire dans un monde pervers où l'annonce du châtiment est
souvent plus efficace que la promesse de la récompense.
Mais une telle crainte n'a
rien à voir avec l'Espérance. Ce n'est pas de rejoindre Dieu, en effet, que
l'âme se préoccupe alors, mais plutôt d'échapper à son regard; elle n'implore
pas son secours, mais fuit sa rigueur. Sentiment tout humain du coupable devant
le justicier, ce n'est pas le Don du Saint-Esprit, bien que ce puisse être une
première Grâce qui y prédispose; "crainte commencement de la
Sagesse".
Sentiment qui doit s'épurer
et s'affiner jusqu'à devenir la « crainte filiale Il, laquelle est l'un des
caractères les plus authentiques de la sainteté, et marque encore l'acte
d'adoration des élus qui contemplent la face du Père. Craindre Dieu, c'est en
définitive la même chose que Le connaître, être ému devant Lui jusqu'au
saisissement. Si l'on est sûr de sa présence, comment l'aborder autrement qu'à
genoux? L'entrevoir seulement donne envie de s'abimer, de disparaître, de se
perdre; et le redouter ainsi c'est encore l'honorer ... Il y a le tremblement
que la terreur inspire; les démons y sont condamnés. Il y a aussi le
tremblement que produisent l'évidence de la majesté, l'excès de la révérence,
la profondeur du culte et l'ivresse même de la dilection : les Puissances si
robustes, et les Trônes si bien affermis le ressentent au sein de
Vices opposés à L'Espérance
Le désespoir
Dans l'ordre des passions
humaines, le désespoir, estimant insaisissable le bien convoité, renonce à tout
effort pour le conquérir.
Le désespoir contraire à
l'Espérance chrétienne, ne se fonde pas seulement sur l'impuissance de l'homme;
mais il va jusqu'à nier la Puissance de Dieu, et méconnaître surtout la Bonté
et l'amour infinis dont ce Dieu fait preuve à l'égard du genre humain. Contredisant
outrageusement tant de déclarations et de signes, il décrète que Dieu ou bien
ne peut pas, ou surtout ne veut pas sauver les hommes et leur faire partager
son bonheur éternel.
Il est rare de rencontrer
ce désespoir généralisé.
Le désespéré considère
surtout son cas particulier. Sans refuser à Dieu le pouvoir et le droit de
sauver les autres, il ne croit plus à la possibilité de son propre salut. Et,
le plus souvent, un tel sentiment est consécutif au péché grave. "Aversion" délibérée de Dieu, le
péché est bien en effet, intentionnellement, une aversion définitive : le
pécheur entend se fixer à jamais dans son attitude, y trouver sa fin dernière;
il s'interdit donc toute nouvelle "conversion" à Dieu.
Mais comment une créature
sujette aux fluctuation du temps pourrait-elle faire de l'irrévocable, tant
dans le bien que dans le mal? Comment surtout empêcherait-elle Dieu de la
dominer, de la réformer, de la retourner au besoin de fond en comble?
Là est la grande erreur du
désespoir. « Mon péché est trop grand pour être pardonné, c'est-à-dire,
implicitement, Dieu ne peut pas triompher du mal qui est en moi; il y a en moi
plus de malice qu'en Lui de Bonté; devant le péché,
Dieu doit s'avouer vaincu!
Est-il outrage plus
offensant?
C'est pourquoi, en un sens,
le désespoir est le plus odieux des péchés, car il s'attaque directement à la
miséricorde divine dans laquelle se concentrent les grands attributs de
Puissance, Justice, Bonté et Amour.
Il est surtout le plus
désastreux pour l'homme. Cet homme libre que Dieu ne "sauve pas sans lui",
comment Dieu pourrait-il le sauver
encore lorsque, non content de repousser avec obstination le pardon si
généreusement offert, il en vient à refuser de le croire possible?
La Présomption.
Le désespoir est le péché
par défaut d'espérance.
La présomption est le péché
par excès.
Non pas que l'on puisse
jamais trop espérer en Dieu, si 1'on considère l'immensité de sa Bonté et de sa
Miséricorde, mais la présomption dédaigne ces bienfaits divins : Je me sauverai seul, sans l'Eglise et les
sacrements.
Elle peut revêtir une autre
forme moins absolue cependant.
L'homme alors ne compte
plus exclusivement sur lui-même; il attend quelque chose de Dieu. Mais cette
fois il en attend trop!
Il ne voit plus seulement
un Dieu infiniment bon, mais un Dieu vraiment débonnaire, incapable de punir et
même d'exiger. Le salut? le bonheur ... ? Oh oui! Impossible d'en douter, car
il est si facile. Pas de conditions pour ainsi dire; l'extrême condescendance
de Dieu dispense l'homme de tout effort, ferme les yeux sur négligences et
infractions, lesquelles après tout ne l'atteignent pas!
Tandis que le désespéré
gronde : "Mon péché est trop grand" le présomptueux
sous-entend : "Bah, mes péchés sont trop peu de chose pour que Dieu
s'y arrête". Dieu témoin aveugle ou impassible du péché, pour un peu complice
tacite; en tout cas, un Dieu qui fait abstraction de sa justice et n'a aucun
souci de son honneur; tel l'entrevoit le présomptueux. Il Le dénature par
conséquent, et travestit ses grands attributs.
Une présomption moins
révoltante, plus atténuée, mais aussi hélas, plus fréquente, c'est celle qui
tient à la fois des deux précédentes. L'homme compte tout ensemble sur lui-même
et sur Dieu; sur l'un et l'autre à l'excès.
Cédant aux faiblesses de sa
nature et aux entraînements de la tentation, il se persuade que tout de même il
trouvera la force de résister et de se ressaisir un jour, quand il le décidera;
puis, s'il n'attend pas que Dieu lui pardonne sans repentir, il espère bien que
le souverain Juge ne le fera pas comparaître sans lui accorder les délais et
lui inspirer les sentiments d'une vraie contrition.
Appuyé sur cette double
confiance, momentanément il prend des allures désinvo1tes devant les préceptes
et les avertissements divins, court tous les risques avec insouciance, et joue
avec son salut.
Légèreté insolente et
combien imprudente!
Le Quiétisme.
Je terminerai par un vice
(ou un hérésie) qui n'est pas citée dans le Sineux mais que je m'en voudrais de
ne pas citer. L'Espérance chrétienne ne consiste pas à se contenter de prier en
attendant béatement des jours meilleurs, l'Espérance est active, au service des
autres et aussi de soi-même (formation, choix d'une règle de vie etc…). Benoit
XVI cite l'exemple des moines bénédictins ou cisterciens qui ne rentraient pas en religion pour fuir le
monde mais au contraire pour travailler – Ora et Labora. Ceci est aussi valable
pour nous bien sur.
Les
hommes d'armes batailleront et Dieu donnera la victoire. (Jeanne d'Arc)
ou plus simplement :
Aide-toi et le
Ciel t'aidera.