17 février 2010

Le silence

(de quelques aspects du silence)

 

Remarque liminaire : il est paradoxal d'utiliser la parole pour commenter le silence…mais comme je n'ai pas trouvé d'autres moyens je continue.

Pour enfoncer le clou dans la même contradiction je vais, en introduction, vous parler de la langue c'est à dire de la parole. Tout le monde connaît plus ou moins l'histoire de la langue d'Esope, je vais cependant vous la rappeler :

Ésope était un esclave de l'antiquité qui racontait des fables. Il a servi de modèle à de nombreux écrivains. La Fontaine nous raconte cette histoire:
Le maître d'Ésope lui demande d'aller acheter, pour un banquet, la meilleure des nourritures et rien d'autre. Ésope ne ramène que des langues! Entrée, plat, dessert, que des langues! Les invités au début se régalent puis sont vite dégoûtés. "Pourquoi n'as tu acheté que ça?"." Mais la langue est la meilleure des choses. C'est le lien de la vie civile, la clef des sciences, avec elle on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées..." "Eh bien achète moi pour demain la pire des choses, je veux diversifier et les mêmes invités seront là." Ésope achète encore des langues, disant que c'est la pire des choses, la mère de tout les débats, la nourrice des procès, la source des guerres, de la calomnie et du mensonge.

Eh bien, si la parole est la meilleure et la pire des choses, le silence étant le contraire de la parole est, mathématiquement si j'ose dire, lui aussi la pire et la meilleure des choses. Nous allons donc l'examiner sous ces deux aspects en commençant par le pire pour finir sur une note heureusement plus optimiste.

 

Le silence vu comme la pire des attitudes.

 

Evacuons rapidement la question du silence dans la vie profane:

·         Les silences en politique, on sait qu'il y a des sujets dont il ne faut pas parler (ou alors en les tronquant et les déformant) :

o        l'immigration et d'une façon générale les gens qui ont une "tronche pas catholique"

o        l'origine de l'augmentation de la délinquance (autrefois, on donnait le prénom des délinquants mineurs…)

o        les conséquences de la décolonisation pour les populations concernées.

o        Les guerres civiles à la française depuis la première république jusqu'à l'épuration et la guerre d'Algérie.

o        Etc…

·         Les silences entre époux, heureusement, grâce au père Caffarel, les membres des groupes DOMVS disposent d'une arme absolue contre ces silences, je veux, bien sur, parler du devoir de s'asseoir.

·         Le respect de la vie : « Je suis là pour manifester notre indignation et notre protestation. On a reproché à Pie XII de s’être tu, alors qu’il avait de bonnes raisons de ne pas parler tout haut. Aujourd’hui le monde se tait, alors qu’il n’y a aucune raison de le faire. Nous n’avons pas le droit de nous taire, c’est ce que je viens crier ! » Dom Louis-Marie à la "marche pour la vie" 2010. Vingt-six évêques français soutenaient cette marche pour la vie, c'est un net progrès, mais cela veut aussi dire que 75 d'entre eux ne la soutenaient pas. Le silence peut être lâche, dans le cas présent je n'ose imaginer qu'il soit complice.

·         Même la "science" impose le silence à ses opposants, aujourd'hui on doit être darwinien, on doit croire au réchauffement de la planète conséquence de l'activité humaine et de la surpopulation.

 

Certains silences dans notre vie spirituelle.

Opportunément, j'ai reçu il y a peu de temps la lettre de la fraternité Saint-Vincent-Ferrrier dont l'éditorial, signé du père Louis-Marie de Blignières était intitulé "Silence sur l'essentiel". Je vous en livre un large extrait :

Le problème existentiel de chacun demeure pourtant le même : notre mort est-elle un terme absolu? Y a-t-il une rétribution dans l'au-delà? Ou bien sommes-nous des êtres irresponsables (et jamais jugés) et absurdes (aspirant au bonheur et voués au malheur) ? Un pesant silence s'abat sur ces questions. Il est de mauvais ton de les aborder en société. Le plus inquiétant, c'est que l'on a l'impression ... qu'elles n'inquiètent plus! [La fin de la métaphysique, le vide d'une littérature et de beaux-arts privés de transcendance, l'envahissement de la technique au détriment de la fonction contemplative des sciences, fabriquent des humanoïdes isolés les uns des autres et prisonniers de l'instant. « L'homme est aliéné quand il est seul ou quand il se détache de la réalité, quand il renonce à penser et à croire en un Fondement» (Benoît XVI, Caritas in veritate, 53).] 

Cette absence d'appétence pour le salut est le grand obstacle à l'évangélisation, du côté de ceux à qui il faut adresser la Parole de salut. Mais du côté de ceux qui devraient évangéliser, « on parle rarement et peu des fins dernières », soulignait Paul VI en 1971. En 1989, le cardinal Ratzinger constatait: « C'est à peine si la foi en la vie éternelle joue encore un rôle dans la prédication. La méfiance à l'égard du thème de l'au-delà est devenue générale. » Il suffit de participer à des obsèques pour constater que la situation n'a pas beaucoup évolué. On y entend des apologies des qualités du défunt, la liturgie baigne parfois dans l'ambiance festive d'une canonisation anticipée, plus rarement on invite ... à la prière pour le défunt! Les prédicateurs ne saisissent guère l'occasion de cette assistance de croyants émus et de non-pratiquants réceptifs pour rappeler l'importance de l'état de grâce, et le sérieux de la vie sanctionnée par le jugement et les rétributions éternelles.

Ce silence a quelque chose de mystérieux. Comme si les pasteurs du Christ, et généralement les catholiques, étaient contaminés par le désespoir d'une société dépressive. La foi vive en ces grandes vérités s'est-elle perdue? A-t-elle été vidée de sa substance par les théories (dénuées de fondement dans l'Ecriture et la Tradition) sur « l'enfer vide» ? (et le purgatoire "qui n'existe pas" ndlr) Pense-t-on que, même si tout cela est vrai, la vérité a peu d'importance pour le salut, l'essentiel étant la sincérité? A-t-on désespéré de la capacité des hommes à entendre les fortes paroles de l'Evangile, et de la grâce du Saint-Esprit, qui incite à les recevoir? (Nouvelles de la Fraternité, automne –Hiver 2009 )

Et le père de Blignières de conclure en rappelant que pourtant la question des fins dernières "soucie secrètement les hommes" et que, seul,  le christianisme apporte une réponse satisfaisante.

 

Le silence peut aussi être la meilleure des attitudes.

 

Dans la vie profane d'abord.

·         Ne pas répondre, c'est souvent éviter d'envenimer une discussion qui s'égare.

·         Saint François de Sales, dans l'"Introduction à la vie dévote" conseille, par humilité, de ne pas répondre même aux calomnies, sauf si elles sont vraiment infamantes. Le Christ lui-même nous a donné l'exemple face à Pilate qui s'en étonne "Tu ne réponds rien ?"

 

 

Dans la vie religieuse ensuite.

En fait, vous l'avez bien compris c'est surtout là que je voulais en venir. J'ai donc cherché des textes sur le silence en liturgie et particulièrement dans la liturgie traditionnelle. J'en ai trouvé assez peu : un extrait de la revue OREMUS

Quelles sont les aspirations dont vous avez constaté qu'elles étaient les plus fréquemment exprimées ?

Le critère qui apparaît le plus fréquemment est celui du silence, du besoin de retrouver une atmosphère sacrée;[ c'est en effet ce recueillement pendant la célébration que recherchent et qu'apprécient le plus souvent les fidèles. L'importance de ce critère croît même d'une manière exponentielle chez ceux qui, jusqu'à leur décision de pratiquer leur foi au rythme de la liturgie traditionnelle, fréquentaient leur cadre paroissial. Bien souvent, c'est par refus de participer à des célébrations bruyantes et cacophoniques qu'ils ont choisi de s'attacher à la liturgie traditionnelle... Lassés qu'ils étaient d'avoir l'impression de subir en permanence, lors des offices, un bavardage incessant qui, en voulant peut-être expliquer les mystères, finit par prendre leur place.]

Pourquoi cette importance du silence ?

Il est clair que le silence n'est pas une fin en soi. Pour les fidèles, participer au saint sacrifice en silence, c'est donner à cette célébration une dimension de recueillement et de prière. C'est pourquoi, à travers cette quête du silence, l'on perçoit leur désir de considérer leur présence à la messe comme un grand moment de leur vie chrétienne auquel ils souhaitent s'associer d'une manière plus intense et plus profonde. Cette participation intérieure est plus importante qu'une participation extérieure forcée qui met mal à l'aise beaucoup de fidèles. Nous avons notamment constaté que, spécialement chez les hommes, cet aspect devenait parfois si insupportable qu'ils préféraient cesser de pratiquer.

Je vais aussi vous lire un extrait, plus mystique, du site de la FSSP :

Le silence est quant à lui, l'expression la plus belle de notre adoration envers le Dieu qui descend sur nos autels. Il est de plus très expressif du mystère qui se réalise. Comme nous l'enseigne St Ignace d'Antioche, le silence accompagne le mystère : « la virginité de Marie, son enfantement et la mort du Seigneur sont trois mystères éclatants que Dieu opéra dans le silence ». Le silence au moment du canon est ce qui favorise le mieux une participation vraiment profonde, personnelle et intérieure au mystère de l'autel.

 

 

Finalement j'ai trouvé, ou plutôt retrouvé, un texte qui est d'autant plus intéressant qu'il n'est pas un commentaire de la liturgie traditionnelle, c'est un extrait de "L'esprit de la liturgie" du cardinal Ratzinger paru en 2001. Je vous le livre tel quel :

 Au Dieu qui s'adresse à nous, nous répondons par le chant ou la prière. Mais le grand mystère qui dépasse toute parole nous appelle au silence. Et le silence, à l'évidence, appartient aussi à la liturgie. Il faut que ce silence soit plein, qu'il ne soit pas simplement l'absence de discours et d'action. Ce que nous attendons de la liturgie, c'est qu'elle nous offre ce silence substantiel, positif, où nous pouvons nous retrouver nous-mêmes. Un silence qui n'est pas une pause où mille pensées et désirs nous assaillent, mais un recueillement qui nous apporte la paix intérieure, qui nous laisse respirer et découvrir l'essentiel.

C'est pourquoi il est impossible de «faire» le silence, de le commander comme on commande une action parmi d'autres. Que l'on soit partout aujourd'hui à la recherche d'exercices de contemplation et d'une spiritualité du vide intérieur n'est pas un hasard. De toute évidence, cette recherche traduit un besoin réel de l'homme qui, dans la forme actuelle de la liturgique catholique, n'est pas satisfait.

Pour que le silence soit fertile, il ne doit pas se contenter, comme nous venons de le dire, d'être un simple entracte dans l'action liturgique. Il doit faire partie intégrante de la liturgie. Comment le réaliser dans la pratique? Le nouvel ordo a introduit deux courts temps de silence: une petite pause après le sermon et un moment de recueillement après la communion.

La pause de silence qui suit le sermon s'est avérée peu satisfaisante, et surtout artificielle; l'assemblée au fond ne fait qu'attendre le moment où le célébrant y mettra fin. De plus, le sermon laisse souvent plus de questions ou de contradictions qu'il n'incite à une véritable rencontre avec le Seigneur. En règle générale, il serait bienvenu que le sermon se termine par une suggestion de prière, qui donnerait alors de la substance à ce silence. Mais même dans ce cas, cela donnerait lieu, non pas à un véritable silence mais à une pause dans la liturgie. Le silence qui suit la réception de l'eucharistie est plus approprié, plus efficace d'un point de vue spirituel C'est en effet le moment privilégié du dialogue intérieur avec le Seigneur qui vient de se donner à nous, moment de communion intime avec Lui, qui nous fait entrer dans cette réciprocité de l'amour sans laquelle la réception extérieure du sacrement ne serait qu'un geste purement rituel, et donc stérile. Cet instant précieux est malheureusement bien souvent perturbé par l'incessant bruit de va-et-vient qui accompagne la distribution de la communion. Par rapport au reste de l'action liturgique, celle-ci dure souvent trop longtemps, si bien que le prêtre se sent obligé de poursuivre sans délai la liturgie pour éviter soit un temps mort, soit la nervosité de certains fidèles se préparant déjà au départ. Dans la mesure du possible, ce silence de la communion devrait être mis à profit par les fidèles, que les prêtres devraient guider dans la prière intérieure.

 

Il arrive aussi que le moment de l'offertoire se déroule en silence. Cette pratique convient en effet à la préparation des dons et ne peut être que féconde, pour autant que la préparation soit conçue non seulement comme une action extérieure, nécessaire au déroulement de la liturgie, mais comme une démarche essentiellement intérieure.

Il s'agit alors de prendre conscience que nous sommes, ou devrions effectivement être, ce qui est offert et qui deviendra la matière du «sacrifice du Verbe»; il s'agit de nous unir au sacrifice que Jésus-Christ offre au Père.

Ce silence ne revient pas simplement à attendre que se termine l'action qui se déroule devant nous, il l'accompagne dans un processus intérieur: nous nous préparons à nous mettre en route, à nous présenter devant le Seigneur, et le prions de nous rendre tels que nous puissions être transformés en Lui. Le silence en commun devient alors prière en commun, et même acte en commun. Un chemin qui, pour nous conduire au Seigneur, nous sort de notre vie quotidienne et fait se rejoindre son temps et le nôtre dans une parfaite contemporanéité.

La formation liturgique devrait promouvoir ce processus intérieur afin que le silence en commun soit un véritable acte liturgique, et donc un silence substantiel.

 

La liturgie propose d'autres moments de silence. Il y a d'abord le silence qui suit la consécration, lors de l'élévation des espèces. Il nous invite à tourner notre regard vers le Christ, à le regarder de l'intérieur, dans une contemplation qui est en même temps action de grâces, adoration et prière pour notre propre transformation. Certaines critiques, de mode aujourd'hui, voudraient nous détourner de ce silence.

L'élévation serait une erreur médiévale qui dérangerait la structure de la Prière eucharistique. Expression d'une piété faussée et conçue de façon trop matérielle, l'élévation ne se trouverait pas en harmonie avec l'orientation intérieure de l'Eucharistie. A cet instant il ne s'agit pas d'adorer le Christ mais le Père, à qui s'adresse tout le Canon. Il n'est pas nécessaire de vérifier ici la pertinence de ces critiques. Nous y avons répondu pour l'essentiel dans la deuxième partie, au chapitre consacré à l'adoration du Saint Sacrement et à la justification intérieure des développements médiévaux qui n'ont fait que manifester ce qui, dès l'origine, était donné dans la foi de l'Église. Il est exact que le Canon a une structure trinitaire et qu'il s'oriente dans sa totalité «par le Christ, dans l'Esprit Saint, vers le Père». Mais la liturgie n'est pas systématique à ce point, et le missel réformé de 1970 nous met précisément sur les lèvres, après le moment de la consécration, une acclamation adressée au Seigneur: «Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire.» Ce moment où le Seigneur descend et transforme le pain et le vin dans son corps et dans son sang ne peut que bouleverser jusqu'au plus profond d'eux-mêmes ceux qui participent à l'Eucharistie dans la foi et la prière. Et nous ne pouvons que nous agenouiller et offrir notre adoration. La consécration est le moment de la grande actio de Dieu accomplie pour nous dans ce monde. Elle emporte nos regards et nos cœurs vers les hauteurs. En cet instant le monde fait silence, tout se tait. Le temps d'un battement de cœur nous sommes arrachés au flux du temps et entrons dans l'éternel présent de Dieu.

 

La structure de la liturgie comprend un autre espace de silence «substantiel », celui des prières que le prêtre doit prononcer à voix basse. Ces prières, qui font partie de l'action liturgique et donc ne l'interrompent pas, sont mal comprises et le plus souvent omises en raison de la vision sociologique et fonctionnelle qui conditionne notre perception de la célébration liturgique. De ce point de vue le rôle du prêtre est réduit à celui d'un «préposé» à la célébration liturgique, elle-même conçue comme une sorte de réunion. Dans cet état de fait, le prêtre se doit d'être en constante activité pour veiller au bon déroulement de la réunion. Mais la tâche du prêtre, dans la célébration de l'Eucharistie, est bien davantage que de présider une assemblée. Sur le chemin qui mène à la rencontre du Dieu vivant, le prêtre est certes à la tête de l'assemblée, mais son centre de gravité n'est pas l'assemblée, c'est le Seigneur, vers lequel il chemine en tant qu'homme. Les prières silencieuses du prêtre le préparent précisément à se pénétrer personnellement de sa tâche et à se donner au Seigneur dans la totalité de son propre «moi ». Elles sont en même temps une manière particulière d'aller à la rencontre du Seigneur: chacun en soi-même et tous ensemble. Le nombre de ces prières silencieuses a été fortement réduit par la réforme liturgique mais, Dieu soit loué, elles existent toujours et doivent continuer à exister.

Il y a d'abord une brève prière de préparation avant la proclamation de l'Évangile. Elle devrait être prononcée par le prêtre dans le silence et le recueillement, dans la pleine conscience de la responsabilité qui lui incombe de proclamer dignement l'Évangile, les lèvres et le cœur purifiés. En priant ainsi, le prêtre rendra l'assemblée consciente de la dignité et de la grandeur de l'Évangile. En suscitant vénération et attention, il lui permettra de reconnaître l'extraordinaire événement que constitue l'irruption de la Parole de Dieu au milieu de nous. Une fois encore, on en revient à la nécessité d'une formation liturgique adéquate pour que le sens de cet acte soit reconnu de tous, et que l'assemblée, en cet instant, ne se lève pas seulement physiquement mais s'élève intérieurement, et que chacun ouvre aussi à l'Évangile l'oreille du cœur. Nous avons déjà parlé du silence problématique qui accompagne le moment de l'offertoire dans le novus ordo. Nous n'y reviendrons pas. Deux prières très belles et profondes précèdent la communion du prêtre. Elles sont aujourd'hui laissées à choix, sans doute pour éviter un trop long silence. Peut-être retrouvera-t-on un jour le temps de les réciter toutes deux.

Puisque le prêtre n'en prie plus qu'une seule, il devrait le faire avec d'autant plus de ferveur, dans un silence concentré, se préparant à recevoir le Seigneur d'une manière qui amènera chaque participant à s'avancer silencieusement vers la présence sacrée, empêchant ainsi que le chemin de la communion ne se dégrade en une pure démarche extérieure. Une telle concentration est d'autant plus nécessaire que l'échange du signe de paix génère une certaine agitation parmi les fidèles, après laquelle l'invitation à tourner notre attention vers l'Agneau de Dieu se fait parfois sans transition, un peu brusquement.

Un temps de silence à ce moment-là, où véritablement chacun contemple l'Agneau avec les yeux du cœur, peut devenir un espace de silence béni. De même, après la distribution de l'eucharistie, deux prières d'action de grâce silencieuses du prêtre sont prévues; elles pourraient et devraient être partagées par les fidèles à leur façon. j'en profite pour mentionner qu'on trouve dans les anciens missels, mise à part une certaine sentimentalité mièvre, un grand fonds de prières précieuses, qui se sont développées à partir d'une expérience de foi profonde et qui pourraient à nouveau servir d'école de prière. Ce que saint Paul nous dit dans l'épître aux Romains - que nous ne savons pas prier comme il faut (8, 26) - vaut encore plus aujourd'hui: il arrive si souvent que nous nous trouvions muets en face de Dieu. Bien sûr, l'Esprit Saint nous apprend à prier, nous souffle les mots, comme le dit saint Paul, mais il se sert aussi de la médiation des hommes. Les prières qui sont montées au cœur d'hommes croyants sont le moyen par lequel l'Esprit, entrouvrant tout doucement nos lèvres muettes, nous apprend à prier et à rendre le silence substantiel.

 

 

En 1978, au grand ennui de plus d'un liturgiste, j'ai déclaré qu'il n'y avait rien d'obligatoire à réciter le Canon en entier à haute voix. Après mûres réflexions, je maintiens ce point de vue et reprends cette thèse, dans l'espoir que, vingt ans après, elle sera peut-être mieux comprise.

Entretemps les liturgistes allemands, dans leur préoccupation à réformer le Missel romain, ont explicitement admis que le Canon, point culminant de la Messe, était en crise. La réforme liturgique a tenté dans un premier temps d'y remédier en inventant constamment de nouvelles prières eucharistiques - avec pour seul résultat de s'enfoncer toujours plus avant dans la banalité. La multiplication des mots n'ajoute rien, c'est devenu par trop évident. Les liturgistes proposent maintenant toutes sortes de remèdes, avec sans doute des éléments dignes d'être pris en considération. Mais, pour autant que j'en puisse juger, ces liturgistes sont toujours réfractaires à la possibilité que le silence lui aussi, que précisément le silence, puisse souder la communauté devant Dieu. Ce n'est certes pas un hasard si très tôt déjà, à Jérusalem, certaines parties du Canon étaient priées en silence, et qu'en Occident la récitation silencieuse du Canon, en partie couverte par le chant méditatif, soit devenue la norme. C'est se rendre la tâche par trop facile que de balayer tout cela comme le résultat de malentendus. il n'est pas vrai qu'il faille réciter à haute voix l'intégralité de la Prière eucharistique pour obtenir la participation de tous à cet acte central de la messe.

Voilà ce que je proposais à l'époque: tout d'abord une formation liturgique appropriée, qui permette aux fidèles de comprendre la signification essentielle et l'orientation fondamentale du canon de la messe. Ensuite, le prêtre pourrait prononcer à haute voix les premiers mots des diverses prières, comme point de repère pour l'assemblée, de sorte que chacun puisse s'unir à la récitation silencieuse de la Prière eucharistique, et qu'ainsi la prière liturgique nourrisse la prière personnelle et qu'à son tour la prière personnelle se fonde dans la prière de l'Église. Quiconque a fait l'expérience d'une communauté unie dans la prière silencieuse du Canon sait ce que représente un silence véritable. Là, le silence est à la fois un cri puissant, pénétrant, lancé vers Dieu, et une communion de prière remplie de l'Esprit. Prier ainsi le Canon est un acte commun des fidèles et du prêtre, qui reste cependant étroitement dépendant du ministère du prêtre à l'autel.

 

Après cela il ne reste pas grand chose à ajouter, on reste admiratif devant, non seulement la finesse de jugement, la qualité des propositions, en continuité avec la Tradition de l'Eglise, mais aussi la connaissance de ce qui se passe dans nos églises de la part d'un cardinal qui était le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi c'est à dire le N°2 ou 3 de l'Eglise. On dirait qu'il assistait tous les dimanches à la messe au milieu des fidèles.

[Combien paraît dérisoire l'intervention de Mgr RAFFIN dans l'Homme Nouveau du 3-02-2002 :  "Faut-il, comme l'envisage le cardinal, le rétablir pendant la Prière Eucharistique ? Personnellement, j'y suis formellement opposé. Comment s'associait-on à la prière eucharistique lorsque celle-ci était dite en silence par le prêtre? En certains lieux, on chantait de longs Sanctus en polyphonie que l'on partageait entre l'avant et l'après-consécration; dans certains ordres, comme les dominicains, on priait en silence prostré sur les formes de stalles (J'ai connu cela pendant ma jeunesse religieuse) ; d'autres disaient leur chapelet, les plus avisés suivaient la prière dans leur missel. La prononciation du Canon à voix haute est, à mes yeux, un progrès considérable (…)".

Remarquons déjà qu'à chaque fois que Rome s'exprime en matière de liturgie, la conférence des évêques de France délègue l'un des siens pour prendre le contre-pied. Ceci dit, je dois avouer que je suis plutôt satisfait de constater que depuis que je sais lire je fait partie, selon ce prélat, des fidèles "les plus avisés". Quant aux fidèles qui récitent leur chapelet pendant la Consécration, je n'en n'ai personnellement jamais observé, mais il est vrai que j'ai autre chose à faire pendant la messe que d'épier ce que font mes voisins]

 

Pour finir sur une anecdote, à destination des amateurs de prénoms exotiques, savez-vous qui est le Saint patron des personnes qui gardent le silence ? Saint Jean Népomucène (ou Saint Jean de Nepomuk).

 

Né vers 1340 à Nepomuk, Bohême. Grand prédicateur, il a obtenu des milliers de conversions. Vicaire général de Prague, conseiller et avocat des pauvres à la cour du roi Wenceslas IV (Vaclav IV) . Refusa plusieurs archevêchés. Confesseur de la reine, il lui enseigna à supporter le fardeau de son époux royal irascible.
Emprisonné pour avoir refusé de divulguer au roi la confession de la reine, il fut exécuté parce qu'il s'obstina à honorer le secret de la confession.
Symbole du nationalisme de la Bohême. Son image a été utilisée en art comme un symbole du sacrement de la confession. De nombreux ponts en Europe portent sa statue en tant que protecteur. Il périt brûlé, puis attaché à une roue et jeté du pont Charles dans la Vltava le 20 mars 1393. La nuit de sa mort, 5 étoiles planèrent au-dessus de l'endroit où il fut noyé. Béatifié le 31 mai 1721 par le Pape Innocent XIII, il fut canonisé le 19 mars 1729

 

Laissons le tout dernier mot à Qohélet:

" Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel (…)

Un temps pour se taire

Et un temps pour parler". 

L'Ecclésiaste 3, 1-7