La lecture spirituelle
Parmi les grands moyens de sanctification offerts à tous, il faut compter la
lecture spirituelle, celle surtout de la sainte Écriture, celle des ouvrages
des maîtres de la vie intérieure et celle de la vie des saints. C’est ce dont
nous parlerons en ce chapitre, en notant quelles sont les dispositions
nécessaires pour profiter de cette lecture.
L’Écriture sainte et la vie de l’âme
Tandis que l’erreur, l’hérésie, l’immoralité proviennent souvent de l’influence
des livres mauvais, comme le dit saint Ambroise, « la lecture des saintes
Lettres est la vie de l’âme ; le Seigneur le déclare lui-même quand il dit :
Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie (Jean, VI, 63) ».
C’est cette lecture qui prépara saint Augustin à revenir à Dieu lorsqu’il
entendit les paroles : Tolle et lege
; un passage des Épîtres de saint Paul (Rom. XIII, 13) lui donna la lumière
décisive qui l’arracha au péché et le porta à se convertir.
Saint Jérôme, dans une lettre à Eustochium, raconte
comment il fut conduit par une très grande grâce à la lecture assidue de
l’Écriture. C’était à l’époque où il commençait à mener la vie monastique près
d’Antioche ; l’élégance des auteurs profanes lui plaisait encore beaucoup, il
lisait de préférence les œuvres de Cicéron, de Virgile, de Plaute. Il reçut
alors cette grâce : pendant son sommeil, il se vit comme transporté au tribunal
de Dieu, qui lui demanda sévèrement qui il était. « Je suis chrétien »,
répondit-il. « Tu mens, lui dit le souverain Juge, tu es cicéronien ; car là où
est ton trésor, là est ton cœur. » Et l’ordre fut donné de le flageller. « Je
sentis bien à mon réveil, écrit saint Jérôme, que cela était plus qu’un songe,
c’était une réalité, puisque je portais sur les épaules les marques des coups
de fouets que j’avais reçus. Depuis ce temps-là j’ai lu les saintes Écritures
avec plus d’ardeur que je ne lisais auparavant les livres profanes. » — On
comprend dès lors pourquoi, dans une autre lettre à Eustochium,
il lui dit : « Que le sommeil ne vous surprenne qu’en lisant, et ne vous
endormez que sur l’Écriture sainte. »
Dans quel livre, en effet, peut-on mieux puiser la vie que dans l’Écriture,
dont Dieu est l’auteur ? Surtout l’Évangile, les paroles du Sauveur, les faits
de sa vie cachée, de sa vie apostolique, de sa vie douloureuse, doivent être
l’enseignement vivant auquel il faut toujours revenir. Jésus sait rendre les
choses les plus hautes, les plus divines, accessibles à tous, par la simplicité
avec laquelle il parle. Et sa parole ne reste pas abstraite et théorique, elle
porte immédiatement à la véritable humilité, à l’amour de Dieu et du prochain.
On sent à chaque mot qu’il ne cherche que la gloire de Celui qui l’a envoyé et
le bien des âmes. Il faut toujours revenir au Sermon sur la montagne en saint
Matthieu (V-VII) et aux discours après la Cène en saint Jean (XII-XVIII).
Si nous lisons dans les dispositions voulues, avec humilité foi et amour, ces
paroles divines, qui sont esprit et vie, elles contiennent pour nous une grâce
spéciale qui nous porte chaque jour davantage à l’imitation des vertus du
Sauveur, de sa douceur, de sa patience, de son amour héroïque sur
Après l’Évangile, rien de plus nourrissant que le premier commentaire qui en a
été écrit sous l’inspiration divine : les Actes des Apôtres et les Épîtres. Ce
sont les enseignements du Sauveur vécus par ses premiers disciples chargés de
nous former, enseignements expliqués et adaptés aux besoins des fidèles. C’est,
dans les Actes, la vie héroïque de l’Église naissante, sa diffusion au milieu
des plus grandes difficultés, leçon de confiance, de vaillance, de fidélité et
d’abandon.
Où trouver des pages plus profondes et plus vivantes que dans les Épîtres, sur la
personne et l’œuvre du Christ (Coloss. I), sur la
splendeur de la vie de l’Église et l’immensité de l’amour du Sauveur pour elle
(Ephés., I-III), sur la justification par la foi au
Christ (Rom., I-XI), sur le sacerdoce éternel de Jésus (Hébr.,
I-IX) ?
Et si l’on pense à la partie morale des Épîtres, où lire des exhortations plus
pressantes à la charité, aux devoirs d’état, à la persévérance, à la patience
héroïque, à la sainteté, et des règles de conduite plus sûres à l’égard de
tous, supérieurs, égaux, inférieurs, à l’égard des faibles, des coupables, des
faux docteurs ? Où sont plus vivement exprimés les devoirs de tous les
chrétiens à l’égard de l’Église ? (I Petr., IV, V)
Il est aussi des parties de l’Ancien Testament que tout chrétien doit connaître,
en particulier les Psaumes, qui restent la prière de l’Église dans l’Office
divin : prière d’adoration réparatrice pour le pécheur contrit et humilié, de
supplication ardente et d’action de grâces. Les âmes intérieures doivent lire
aussi les pages les plus belles des Prophètes, que la liturgie de l’Avent et du
Carême remet sous nos yeux, et, dans les livres sapientiaux les exhortations de
la Sagesse incréée à la pratique des principaux devoirs envers Dieu et le
prochain.
En relisant sans cesse avec respect et avec amour l’Écriture, surtout
l’Évangile, on y trouvera toujours de nouvelles lumières et une nouvelle force.
Dieu a mis dans sa parole une vertu inépuisable, et lorsque, à la fin de la
vie, après avoir beaucoup lu, on est fatigué de presque tous les livres, c’est
à l’Évangile qu’on revient, comme au véritable prélude de la lumière qui
éclaire les âmes dans l’éternelle vie.
Les œuvres spirituelles des saints
Après la lecture de l’Écriture, celle des écrits spirituels des saints
éclairent beaucoup l’âme et la réchauffent, parce que bien qu’ils n’aient pas
été composés sous l’inspiration infaillible, ils l’ont été avec les lumières et
l’onction du Saint-Esprit.
Il n’est pas permis d’ignorer les principales œuvres spirituelles de saint
Augustin, de saint Jérôme, de Cassien, de saint Léon, de saint Benoît, de saint
Grégoire le Grand, de saint Basile, de saint Jean Chrysostome et de Denys, de
saint Maxime le Confesseur, de saint Anselme et de saint Bernard.
Il est grandement utile aussi de connaître ce qui touche le plus la vie
intérieure dans les écrits de Richard de Saint-Victor, d’Hugues de Saint-Cher, de saint Albert le Grand, de saint Thomas
d’Aquin, de saint Bonaventure.
On revient toujours avec profit au Dialogue de sainte Catherine de Sienne, aux
ouvrages de Tauler, du bx Henri Suzo,
de
Parmi les auteurs spirituels modernes, il convient de lire Louis de Blois, le
franciscain François d’Osuna, dont le livre servit de guide à sainte Thérèse,
saint Ignace de Loyola, les œuvres de sainte Thérèse, de saint Jean de la
Croix, de saint François de Sales, de saint Jean Eudes.
On doit conseiller enfin les écrits spirituels de Bossuet, ceux des dominicains
Louis de Grenade, Chardon, Piny, Massoulié,
ceux des jésuites L. Dupont, Lallemant, Surin, de
Caussade, Grou, les ouvrages des écrivains de l’école
française du XVIIe siècle, de Bérulle, de Condren, du P. Bourgoing, de saint
Vincent de Paul, de M. Olier, du vénérable Boudon, ceux du bx
Grignion de Montfort, de saint Alphonse de Liguori. Nous ne parlons pas des auteurs plus récents dont
les principaux sont connus de tous.
Les Vies de saints
À la lecture des livres de doctrine spirituelle, il faut joindre celle des Vies
de saints, qui contiennent des exemples entraînants, toujours admirables,
souvent imitables. C’est ce qu’ont fait dans des circonstances souvent très
difficiles des hommes et des femmes qui avaient la même nature que nous, qui ont
eu au début leurs faiblesses et leurs défauts, mais en qui la grâce et la
charité ont de plus en plus dominé la nature, en la guérissant, l’élevant,
En ces Vies, il faut surtout chercher ce qu’il y a d’imitable, et dans ce qu’il
y a d’extraordinaire, il faut voir un signe divin qui nous est donné pour nous
tirer de notre somnolence et nous faire voir ce qu’il y a de plus profond et de
plus haut dans une vie chrétienne ordinaire, lorsque l’âme est vraiment docile
au Saint-Esprit. Les douleurs des stigmatisés nous rappellent ainsi ce que doit être pour nous la Passion du Sauveur et comment nous
devrions dire un peu mieux chaque jour, à la fin des stations du Chemin de
Croix : « Sancta Mater, istud
agas, Crucifixi fige plagas
cordi meo valide. Sainte
Mère de Dieu, imprimez fortement en mon cœur les plaies de votre Fils crucifié.
» — La grâce extraordinaire qui a permis à plusieurs saints, comme à sainte
Catherine de Sienne, de boire à longs traits à la plaie du Cœur de Jésus doit
nous rappeler ce que devrait être pour nous la communion fervente, et comment
chacune de nos communions devrait être substantiellement plus fervente que la
précédente, en notre ascension vers Dieu.
Les exemples des saints, leur humilité, leur patience, leur confiance, leur
charité débordante, ont plus d’efficacité pour nous faire pratiquer la vertu
qu’une doctrine abstraite. « Universalia non movent. » Il importe de lire surtout les Vies de saints
écrites par des saints, comme celle de saint François d’Assise écrite par saint
Bonaventure, celle de sainte Catherine de Sienne écrite par le bx Raymond de Capoue, son directeur ; celle de sainte
Thérèse par elle-même.
Dispositions pour profiter de ces lectures
Une prière bien faite au début nous obtiendra la grâce actuelle pour lire
l’Écriture sainte ou les livres spirituels avec esprit de foi, en évitant toute
curiosité inutile, la vanité intellectuelle, la tendance à critiquer ce qu’on
lit plutôt qu’à en profiter. L’esprit de foi nous fait rechercher Dieu lui-même
dans les ouvrages spirituels.
Il faut aussi, avec un désir sincère et vif de la perfection, nous appliquer à
nous-mêmes ce que nous lisons, au lieu de nous contenter d’en avoir une
connaissance théorique. Alors, même en lisant ce qui concerne « les petites
vertus », comme dit saint François de Sales, on recueille un très grand profit,
car toutes les vertus sont connexes avec la plus haute de toutes,
De même il est bon que les commençants, sans vouloir brûler les étapes et aller
plus vite que la grâce, entrevoient toute l’élévation de la perfection
chrétienne. Car la fin à atteindre, qui est dernière dans l’ordre d’exécution
est première dans l’ordre d’intention ou de désir. Il faut dès le début vouloir
atteindre la sainteté, car tous nous sommes appelés à cette sainteté, qui nous
permettrait d’entrer au ciel si tôt après notre mort ; nul, en effet, ne fera
du purgatoire que pour des fautes qu’il aurait pu éviter.
Si commençants et avancés ont vraiment le vif désir de se sanctifier, ils
trouveront dans la Sainte Écriture et les ouvrages spirituels des saints ce qui
leur convient ; ils entendront, en lisant, l’enseignement du Maître intérieur.
Pour cela, il faut lire lentement, et non pas dévorer des livres ; il faut se
pénétrer de ce qu’on lit. Et alors la lecture spirituelle se transforme peu à
peu en oraison, en conversation intime avec l’Hôte intérieur.
[Saint Benoît (Règle, c. 48) dit que la lectio ainsi
faite est le premier degré de la série ascendante « Lectio,
cogitatio, studium, meditatio, oratio, contemplatio. » Cf. Dom Delatte,
Commentaire de la Règle de saint Benoît, c. 48. Saint Thomas, qui reçut sa
première formation des Bénédictins, a conservé cette gradation qui s’achève
dans la contemplation : lectio, cogilatio,
studium, meditatio, oratio, contemplatio. IIa IIæ q. 18o, a. 3).]
Il convient aussi de relire à quelques années de distance les très bons livres
qui nous ont fait déjà beaucoup de bien. La vie est courte : il faudrait se
contenter de lire et de relire ce qui porte vraiment la marque de Dieu, et de
ne pas perdre son temps à la lecture de choses sans vie et sans valeur. Saint
Thomas d’Aquin ne se lassait pas de relire les conférences de Cassien. Combien
d’âmes ont grandement gagné à relire souvent l’Imitation ! Mieux vaut se pénétrer
profondément d’un seul livre comme celui-là que de lire superficiellement tous
les auteurs spirituels.
Il faut de plus, comme le dit saint Bernard, lire avec piété, en cherchant non
pas seulement à connaître les choses divines, mais à les goûter. Il est dit en
saint Matthieu XXIV, 15 : « Que celui qui lit, comprenne », et demande à Dieu
la lumière pour bien entendre. Les disciples d’Emmaüs n’avaient pas entendu le
sens des prophéties jusqu’à ce que Notre-Seigneur leur ouvrît l’esprit. C’est
pourquoi saint Bernard nous dit : « Oratio lectionem interrumpat, qu’on
suspende la lecture pour prier » ; alors vraiment cette lecture sera une
nourriture spirituelle et disposera à l’oraison.
Enfin, il faut commencer sans tarder à mettre en pratique ce qu’on lit. Notre-Seigneur
dit à la fin du Sermon sur la montagne (Matth., VII,
24) : « Tout homme qui entend ces paroles et les met en pratique ressemble à
l’homme sage qui a bâti sa maison sur le roc… Celui qui les entend sans les
mettre en pratique ressemble à l’insensé qui bâtit sa maison sur le sable. » «
Ce ne sont pas, dit aussi saint Paul, ceux qui écoutent la loi divine qui sont
justes devant Dieu, mais ceux qui
Père Garrigou-Lagrange
Extrait du livre Les trois âges de la vie intérieure, tome 1, pp. 337 et
suivantes