LA FOI

d'après l'"Initiation à la théologie de Saint Thomas", R. Sineux O.P., Téqui édit.

 

 

 

 

 

 

1.      La vertu de foi

a.       Nature et nécessité de la foi

Comme avant de jouir du spectacle grandiose qu'il ne découvrira qu'au terme du voyage, un pèlerin recueille et savoure dès le départ les descriptions qui lui en sont faites, puis à chaque étape qui le rapproche du but, perçoit plus nettement les rayons qui le lui annoncent; ainsi, en attendant de contempler Dieu "tel qu'il est Il est" et pour tendre à cette vision face à face qui sera sa fin, l'homme, dès ici-bas, capte avidement tout ce qui lui révèle Dieu, et s'évertue à Le connaître chaque jour davantage, à discerner surtout plus clairement les voies qui mènent à Lui. C'est la Foi, connaissance toujours lointaine et cependant progressive: d'abord simple croyance à un témoignage, à ce que Dieu dit ou fait dire de Lui-même, et des moyens propres à conduire vers Lui; puis conviction plus personnelle et plus approfondie

b.       Son fondement

Les hommes devront « croire» sans voir et sans chercher à tout comprendre.

Croire, c'est quand même être informé; c'est même une conviction profonde. Mais au lieu de s'appuyer sur l'évidence qui frappe les sens ou sur le raisonnement qui emporte l'adhésion de l'intelligence, la croyance se fonde sur la seule confiance au témoignage de quelqu'un.

Nous n'avons pas vérifié, 99% de ce à quoi nous croyons.

Puisque la Foi n'est autre chose que l'adhésion à la Vérité divine révélée par Dieu même, une seule question se pose : "Est-il bien sûr que Dieu ait parlé aux hommes?" Car la raison a déjà de Dieu une notion assez claire pour savoir que cette Intelligence suprême est nécessairement infaillible; pas une lacune dans sa connaissance, et pas un détour dans son expression. Donc, si Dieu parle, Il ne peut dire que la vérité.

La Divinité de Jésus-Christ étant bien établie par la vie vraiment divine qui est apparue dans sa vie humaine, son autorité du même coup devient indiscutable. Plus que témoin de Dieu, Il est le Fils auquel rien n'est caché; Il parle donc des desseins de Dieu en pleine connaissance de cause; Il est "un Maître infaillible et ne peut enseigner que la Vérité" (Mat XXII,16).

Non seulement Lui, en personne, mais également les hommes auxquels Il livre sa pensée et délègue sa mission: " Comme le Père m'a envoyé ainsi à mon tour je vous envoie" (Jean XX, 21)... "Allez donc, instruisez toutes les nations, apprenez-leur tout ce que je vous ai enseigné" (Mat. XXVIII, 19-20)

 

c.        Son objet ou son contenu

L'ensemble de ces Vérités concernant la vie de Dieu et le salut de l'Humanité constitue la "Révélation", ce nom lui-même évoquant l'idée de choses cachées ou voilées, soudain mises au jour.

Révélation des Mystères divins qui s'est faite essentiellement par l'intermédiaire du Christ Fils de Dieu, et aussi, avant Lui ou après Lui, mais toujours en liaison avec Lui, par divers "messagers inspirés", c'est-à-dire instruits directement par Dieu de certaines vérités qu'ils avaient charge de communiquer au monde. Avant le Christ, on les appelait "Prophètes"; après le Christ, ils portent, le nom « d'Apôtres ».

Tous ces interprètes ont transmis leur message, soit oralement, soit par écrit: d'où les noms d'Ecriture Sainte et de Tradition, donnés à ces oracles selon leur mode de transmission.

Pour ce qui est des écrits, on en compte soixante-douze différents, quarante-cinq émanant des Prophètes de l'Ancien Testament, vingt-sept des Apôtres du Nouveau Testament. D'importance très variable, plusieurs parfois signés du même auteur, comme les cinq livres du Pentateuque inspirés sinon rédigés tous par Moïse, ou les quatorze épîtres adressées par S. Paul aux diverses chrétientés de son temps. C'est l'Apocalypse de S. Jean qui, chronologiquement, clôt la série.

Quant à la Tradition, elle sort des mêmes sources. Mais, répandue de façon beaucoup plus diffuse, créant une atmosphère divine, c'est elle surtout qui donne au peuple cette intelligence pratique des vérités de la Foi qu'on peut appeler le « sens des mystères ». Recueillie et explicitée par certains personnages, sous le contrôle de l'Eglise, dépositaire de tout le trésor de la Révélation, la Tradition devient la voix des Pères ou Docteurs qui, sans ajouter à l'enseignement du Christ, des Prophètes et des Apôtres, jette un peu de clarté sur certains points demeurés obscurs, apporte à un texte trop concis ou trop vague les développements qui en favorisent l'entière compréhension.

C'est alors qu'on parle d'évolution du dogme. Evolution qui n'est ni une addition de vérités nouvelles, ni un retranchement de vérités périmées, ni une modification quelconque aux vérités proclamées; mais seulement une tradition, pensée plus subtile et plus claire projetant sa lumière sur l'écorce plus ou moins opaque des mots afin d'en dissiper les ambiguïtés et d'en extraire toute la substance de Vérité que Dieu y a incuse.

Voir les exemples récents comme la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception ou de l'Assomption.

Venons-en au contenu lui-même :

Un " Dogme ", c'est le nom que l'on donne généralement à la formulation par l'Eglise d'une vérité révélée par Dieu, inaccessible à la raison humaine, proposée à notre croyance et réclamant un acte de Foi.

Les dogmes s'étendent par conséquent à toute la vie intime de Dieu, à son action cachée présentement dans le monde, et à l'avenir éternel qui doit en résulter. « La Foi, dit l'Apôtre, nous donne la conviction des choses invisibles, et nous livre dès maintenant la réalité des choses futures".

Lorsque plusieurs dogmes énoncent des vérités concernant un même fait ou une grande idée centrale, ils se groupent en un seul "article de Foi". Ainsi, tout ce qui a trait à l'Incarnation du Verbe de Dieu constitue un article.

Quatorze articles principaux (certains les ramènent à douze) résument toutes les vérités proposées à la Foi des chrétiens. Ils sont rassemblés dans le "Symbole des Apôtres", communément appelé "Credo" (de son premier mot latin qui signifie « Je crois", et amorce en effet toute la série des Vérités révélées qu'il faut "croire" de confiance sans chercher à les expliquer ou les comprendre).

Dès son origine et aujourd'hui encore) l'Eglise fait de ce Symbole le fond de l'interrogatoire qu'elle fait subir aux néophytes avant de les admettre dans son sein. Il est le signe distinctif du chrétien; et à ce signe les chrétiens se reconnaissent entre eux. Il suffirait que l'un ou l'autre de ces articles fût contesté pour que quelqu'un cessât d'être un vrai chrétien, un authentique disciple des Apôtres et donc du Christ Lui-même.

Ce sont des réticences plus ou moins graves sur tel ou tel article du Symbole qui ont fait, au cours des siècles, "les hérétiques", ces hommes assez osés pour discuter la doctrine du Fils de Dieu, faire arbitrairement leur choix dans les Vérités venues du Ciel, retenir ce qui s'accomode à la couleur de leur esprit et rejeter ce qui les heurte, interpréter sans mandat et le plus souvent dénaturer un enseignement qu'ils déclarent divin et dont ils ne peuvent admettre cependant qu'il les dépasse.

Ce sont ces audaces et ces erreurs qui ont provoqué la rédaction de deux autres "Symboles" dits "Symbole de Nicée" (le Credo de ta Messe) et "Symbole de S. Athanase" (que prêtres et religieux récitent le Dimanche à l'heure de Prime), lesquels ne sont pas différents du "Symbole des Apôtres", mais expriment seulement en termes plus explicites les articles attaqués par les hérésies, tels que le Mystère de la Ste Trinité avec l'unité et l'égalité des trois divines Personnes, et le Mystère de l'Incarnation avec l'unité de Personne et la dualité des natures en Jésus-Christ.

L'autorité de l'Eglise pourrait, d'ailleurs, le cas échéant, promulguer d'autres symboles, sans altérer en rien l'intangible Révélation dont elle a le dépôt, soit qu'elle éprouvât le besoin d'éclairer l'esprit de ses fidèles sur certains mystères, soit qu'elle fût amenée à réfuter de nouvelles témérités

 

d.       Son acte

"Un assentiment joint à une cogitation" c'est ainsi que la définit S. Augustin. Et l'union de ces deux éléments constitue bien en effet le caractère distinctif de l'acte de foi et le différencie de tous les autres états ou mouvements de l'esprit, tels que la science, l'opinion ou le doute. « Assentiment », donc adhésion de l'intelligence à une pensée énoncée et connue; et la Foi a ceci de commun avec la science. Mais, simultanément une « cogitation », c'est-à-dire une certaine agitation et délibération, sinon hésitation; et en cela la Foi se rapproche du doute ou de la simple opinion.

Normalement ces états sont incompatibles. La certitude en effet exclut le doute, tandis que l'opinion laisse place à l'incertitude.

C'est le propre de ce mode spécial de connaître qu'on appelle la croyance, d'allier dans un même acte conviction et ignorance.

 

e.        Ses effets

Premier contact et premier accord entre la pensée divine et la pensée humaine, la Foi prédispose à la vie éternelle et l'inaugure déjà dans une certaine mesure; car elle procure "la substance des choses que nous espérons pour l'avenir, et amorce avec certitude ce qui échappe encore à nos regards". L'aube qui précède et prépare le plein jour.

L'enfant illettré possède par la Foi une connaissance de Dieu et de l'au-delà infiniment plus profonde et plus sûre que le philosophe par son seul génie: comme toute clarté tombant du soleil, si pâle qu'on la suppose, l'emporte sur la plus brillante lumière montant de la terre.

 

2.   Les dons correspondants à la foi

a.       Don d'intelligence

Un maître, digne de ce nom, ne se contente pas de jeter son enseignement à qui voudra le recueillir; il essaie, en outre, d'ouvrir les esprits de ses disciples, de les rendre plus réceptifs, quand ce ne serait que pour n'avoir pas lui-même l'impression de perdre son temps.

Un ami, surtout à l'heure des confidences, autant il veille à livrer exactement les secrets de son cœur, autant il est soucieux de les faire comprendre.

Dieu se fait Maître et Ami pour les hommes. C'est pourquoi au don de la Foi qui incline l'esprit humain à accueillir de confiance les Vérités énoncées, Il ajoute le don d'Intelligence qui, sans avoir rien de commun avec une démonstration scientifique, procure une certaine connaissance expérimentale. « Goûtez et voyez la douceur du Seigneur», invite le Psalmiste 1. Le voile du mystère n~ tombe pas tout à fait; mais il devient en quelque sorte translucide. Dans cette clarté, bien vague encore m9.Ïs combien supérieure à la nuit obscure, l'intelligence humaine éprouve une conviction si forte qu'elle semble une évidence; non point évidence d'intelligibilité, puisqu'il s'agit de mystères, mais évidence de crédibilité. Selon sa signification étymologique - « intus legere» le don d'Intelligence aide à lire, à pénétrer le donné révélé. Par exemple, que Dieu soit une seule Nature en trois personnes devient pour la vie surnaturelle un élément aussi fondamental et indiscutable que dans le domaine rationnel l'axiome: le tout est plus grand que chacune de ses parties.

Véritable apaisement de l'intelligence par conséquent, à défaut d'une pleine satisfaction. Et en même temps, puissant stimulant pour la conquête totale et la contemplation face à face des grandes réalités confusément entrevues.

 

b.       Don de science

Il ne se confond pas avec le don d'Intelligence et ne fait pas double emploi avec lui. Il vient, non plus faire pénétrer le sens de la Parole divine, mais faire connaître la création, miroir des attributs de Dieu, et tremplin d'où les âmes prennent avec Lui leur envol. Il y a bien une science humaine dont le propre est d'étudier les créatures, mais pas sous ce jour! Ce que découvre le don de L Science, ce n'est pas la constitution des créatures, leurs relations entre elles ou leur utilité pour l'homme dans le domaine matériel, mais plutôt les effets palpables de la Bonté de Dieu et l'usage qu'il convient d'en faire pour répondre à ses desseins. Participation à la Science de Dieu, il permet de juger sainement de toutes choses, n'attribuant à chacune que sa valeur réelle et sa vraie raison d'être dans la pensée du Créateur. (cf  saint Ignace).

 

3.   Le vice opposé  à la foi : l'infidélité

 

Les chrétiens sont communément appelés "les fidèles" ou « le peuple fidèle». Ce terme qui dérive de «Fides», désigne alors les hommes dotés de la Vertu de Foi. Par contre, ceux qui ne partagent pas la Foi chrétienne sont classés sous le nom générique « d'infidèles». Cependant, chez un grand nombre de ceux-ci, l'infidélité n'est qu'un état malheureux dont ils ne sont nullement responsables: leur ignorance est dite "invincible" ; ils n'ont pas refusé d'entendre la Vérité révélée, bien plutôt ils n'ont eu aucun moyen d'en être informés. Ces « infidèles» ne sont pas coupables.

Il en va tout autrement de l'homme qui, entendant clairement 1a Parole de Dieu, refuse obstinément de la retenir; ou plus encore de celui qui, l'ayant un moment accueillie, la rejette ensuite, et renie sa croyance. Le premier est l'incroyant conscient et volontaire, trop orgueilleux pour admettre une vérité qui ne vient pas de sa propre raison; le second est l'apostat dont les passions soudain s'insurgent contre la bienfaisante discipline de la Vérité. L'un et l'autre, s'ils ne repoussent pas en bloc tous les enseignements de la Foi, mais font un choix au gré de leur fantaisie, sont des hérétiques, non moins répréhensibles souvent que les incroyants eux-mêmes; car leur arbitraire dans la sélection des dogmes rejette pratiquement l'autorité d l'Eglise, et insulte Dieu qui lui a confié son message.

 

4.   Foi et raison

 

« Bien que la foi soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais y avoir de vrai désaccord entre elles. Puisque le même Dieu qui révèle les mystères et communique la foi a fait descendre dans 1'esprit humain la lumière de la raison, Dieu ne pourrait se nier Lui-même ni le vrai contredire jamais le vrai. » «C'est pourquoi la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d'une manière vraiment scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi: les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu. Bien plus, celui qui s'efforce, avec persévérance et humilité, de pénétrer les secrets des choses, celui-là, même s'il n'en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu, qui soutient tous les êtres et les fait ce qu'ils sont. » CEC, 156.

 

 

5.   La foi et les œuvres.

 

Sur ce point, Saint Jacques répond à Luther ! :

"A quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu'un dise: « J'ai la foi »  s'il n'a pas les œuvres? La foi peut-elle le sauver? Si un frère ou une sœur sont nus, s'ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l'un d'entre vous leur dise: « Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous », sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il? Ainsi en est-il de la foi: si elle n'a pas les œuvres, elle est tout à fait morte" (Jac 2, 14-17)

"Vous le voyez, c'est par les œuvres que l'homme est justifié et non par la foi seule". (Jac 2, 24)

 

 

 

6.   Conclusion

 

La foi nous fait goûter comme à l'avance la joie et la lumière de la vision béatifique, but de notre cheminement ici-bas. Nous verrons alors Dieu « face à face» (1 Co 13, 12), «tel qu'll est» . La foi est donc déjà le commencement de la vie éternelle. CEC,163.